Les abeilles grises / Andreï Kourkov

Sergueï, un apiculteur proche de la cinquantaine, vit seul dans sa maisonnette du Donbass, dans le village de Mala Starogradivka, dans la “zone grise”, le “no man’s land”, coincé entre l’armée ukrainienne et les séparatistes prorusses. Une région écartelée, désertée par les habitant·es qui ont fui les incessants bombardements et les snipers planqués dans les maisons vides. Seuls restent dans ce village Sergueï et Pachka, ce dernier est un ancien condisciple, plutôt ennemi qu’ami (leurs opinions politiques divergent), mais il faut bien s’entraider lorsqu’il n’y a plus ni électricité, ni eau courante, ni ravitaillement. Eté comme hiver, c’est l’heure de la débrouille!

Justement, le printemps s’annonce et les champs alentours criblés de trous d’obus n’offrent plus aux abeilles suffisamment de sécurité et de fleurs à butiner. Plus de patients non plus, qui venaient s’étendre et dormir sur les ruches de Sergueï, en quête d’un mieux-être, d’une guérison par l’apithérapie. Sergueï charge donc ses six ruches dans sa remorque tractée par sa vieille voiture et s’en va vers le centre de l’Ukraine en quête d’espace et de paix pour ses petites ouvrières laborieuses.

C’est cette aventure que nous narre Kourkov, un voyage qui mènera Sergueï jusqu’en Crimée (annexée par la Russie) et au cours duquel il rencontrera des personnes bienveillantes ou pas, des contrôles incessants au passage des frontières, la bureaucratie et l’œil de Moscou jamais bien loin.

Malgré la guerre qui s’éternise, Sergueï vit sa vie sereinement, à l’écoute de ses nombreux rêves, cherchant des solutions aux problèmes au fur et à mesure que ceux-ci se présentent, échangeant son miel contre d’autres denrées. C’est une histoire simple, pleine de bon sens, de générosité, d’entraide, d’humanité, mais aussi une critique amère de la bureaucratie et des services d’espionnage russes toujours actifs. Sergueï est un personnage attachant, solide, qui s’adapte à cette drôle de vie, prêt à tout pour sauver son rucher.

Un roman prémonitoire, puisqu’il a été publié en 2019, et traduit en français en 2022.

(Colette)